D'un Pays Lointain |
|
Author:
| Gourmont, Remy de |
ISBN: | 979-8-7471-1749-5 |
Publication Date: | May 2021 |
Publisher: | Independently Published
|
Book Format: | Paperback |
List Price: | USD $9.99 |
Book Description:
|
Le préteur donna lui-même les instructions les plus précises au décurion chargé d'arrêter Phocas. Ce magistrat, nommé Aurélius, était un homme grave, probe et intelligent ; excellent jurisconsulte, il n'abusait point de sa science, ni des codes, ni des édits pour écraser d'une rigueur uniforme et traditionnelle les criminels cités à son tribunal ; tout au contraire, profitant de la liberté qu'avaient alors les juges de décider selon leur conscience, il aimait à oublier l'impérative...
More DescriptionLe préteur donna lui-même les instructions les plus précises au décurion chargé d'arrêter Phocas. Ce magistrat, nommé Aurélius, était un homme grave, probe et intelligent ; excellent jurisconsulte, il n'abusait point de sa science, ni des codes, ni des édits pour écraser d'une rigueur uniforme et traditionnelle les criminels cités à son tribunal ; tout au contraire, profitant de la liberté qu'avaient alors les juges de décider selon leur conscience, il aimait à oublier l'impérative dureté des lois pénales, -- et plus d'une fois on l'entendit condamner à une notable amende d'avares et inflexibles riches « coupables selon lui de ne pas s'être laissé voler, attendu que le voleur était dans le besoin le plus extrême et qu'il y a un certain degré de misère qui autorise celui qui n'a rien à prendre à celui qui possède tout. » De tels jugements paraîtraient aujourd'hui fort scandaleux et notre moralité raffinée s'en indignerait ; mais au IVe siècle, à Sinope, dans la province de Pont où se passe cette histoire, les hommes, dénués de grands principes, acceptaient volontiers la justice telle que la comprenait Aurélius ; vexés, mais convaincus que de laisser mourir de faim une créature humaine, ou de l'étrangler de ses propres mains, c'est un crime égal, ils payaient l'amende, puis, pour éviter d'être volés justement, ils faisaient, de leur propre volonté, la part des pauvres.Les idées chrétiennes avaient pénétré peu à peu à Sinope, comme dans une grande partie de l'Empire romain, mais pas encore sous leur véritable nom ; ce nom était toujours détesté, et on y professait pour la religion nouvelle une horreur mêlée de crainte ; seules, devançant les dogmes, la justice et la pitié, mendiantes boiteuses, avaient franchi les murs de la ville et murmuré tout bas de singulières paroles que le peuple se répétait avec surprise.De vrais chrétiens, instruits de la naissance, de la mort et de la résurrection du Nazaréen, il n'y en avait guère, à Sinope, que dans les faubourgs, parmi les tisserands, et, dans la campagne, parmi les paysans et les esclaves des grands domaines ; on disait que le principal d'entre eux, le plus instruit et, par conséquent, le plus dangereux, était un nommé Phocas, jardinier de son état, homme libre, qui cultivait un petit enclos et en vendait les produits aux portes de la ville.Donc, par une étrange contradiction, le peuple, qui aimait la justice, haïssait ceux qui étaient les vivants exemplaires de la justice, et Aurélius lui-même, le juge secourable, entrait en colère et jurait par les dieux infernaux dès que l'on prononçait devant lui le nom de Chrétien. Sur ces entrefaites, des édits arrivèrent qui ordonnaient la recherche et la condamnation de tout sectateur de l'idée nouvelle. Aurélius lut les édits que lui envoyait le préfet de la province et, pour la première fois de sa vie, il fut joyeux d'avoir lu un édit impérial.Ayant fait venir Amasius, le chef de la décurie de soldats que l'on employait à la recherche des criminels, il lui commanda de s'emparer de Phocas et de l'amener à Sinope, mort ou vif.Les instructions portaient, rédigées sur des tablettes de cire : « Phocas, chrétien, contempteur des Dieux, ennemi de l'empereur et du peuple romain. Bandit redoutable et conspirateur astucieux, chef d'une bande de cruels coquins, il est encore un magicien des plus experts ; il connaît l'art incroyable de tuer à distance, soit par d'effroyables combinaisons d'éléments, soit par des signes, soit par une entente secrète avec les Génies inférieurs. Vous vous approcherez de lui prudemment et en usant de ruse ; il y va peut-être de votre vie, mais il y va sûrement du salut de la République. »