La Fille Sur le Cheval Roux

Quand eut-elle la révélation qu''il avait réellement abusé d''elle? La relation avec son père la tourmentait et même s''il ne la répétait plus, la phrase de John - Cherche, il s''est passé quelque chose... résonnait dans sa tête. Elle avait l''intuition que la solution du problème se trouvait cachée dans les replis de sa mémoire. Elle ne savait plus ce qui s''était réellement passé. La vie avait perdu sa saveur. Puis il y eut ce jour où elle accompagna un groupe d''enseignants....
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Quand eut-elle la révélation qu''il avait réellement abusé d''elle? La relation avec son père la tourmentait et même s''il ne la répétait plus, la phrase de John - Cherche, il s''est passé quelque chose... résonnait dans sa tête. Elle avait l''intuition que la solution du problème se trouvait cachée dans les replis de sa mémoire. Elle ne savait plus ce qui s''était réellement passé. La vie avait perdu sa saveur. Puis il y eut ce jour où elle accompagna un groupe d''enseignants. La police avait lancé des grenades lacrymogènes avant de les charger. Elle s''était sentie submergée par la rage. Une vague la propulsait avec une force qu''elle n''imaginait pas pouvoir éprouver. Elle avait empoigné un pavé sur lequel elle avait buté et l''avait lancé sur les forces de l''ordre. Les gaz faisaient jaillir des larmes. L''esprit d''Alice s''était brusquement échauffé. L''adrénaline coulait à flots et venait se jeter contre les digues de son éducation, de la bienséance, du «cela ne se fait pas». Elle se nourrissait de cette rage. Furieuse, elle empoigna un autre pavé, prête à se lancer dans la bagarre quand une main lui attrapa le poignet et la tira dans une encoignure de porte... sa vie avait basculé... Rien n''apaisait son besoin de violence. Elle en avait marre de ses études. La vie n''avait plus de sens. Elle rêvait d''anarchie, d''attentat. Elle avait dévoré Dostoïevski. Elle voulait retrouver les racines du terrorisme à Moscou. Il fallait changer le monde. Mais la Russie de Poutine était anesthésiée. Il allait être réélu avec une majorité écrasante au premier tour alors que les anarchistes étaient emprisonnés, assassinés, empoisonnés.
Le changement viendrait d''ailleurs. Elias était un étudiant syrien. Il voulait rejoindre Daesch, se battre pour l''Islam, pour Allah.
- Effacer le monde non musulman, avait-il dit... le 11 septembre n''était qu''un avant-goût de ce qui allait se passer.
- Mais, cela va-t-il changer quoi que ce soit? demanda-t-elle.
Il hésita.
- We could start again from scratch.
En Anglais, la prononciation du mot, avec sa rugosité à l''oreille et dans la bouche, figurait l''écrasement du monde et sa réduction à une rature, à rien. Elle sentit que son destin se jouait là-bas quelque part en Syrie.
Pourquoi aller en Syrie, devenir musulmane, faire le jihad, cela n''a aucun sens, Al-Quaida, l''État islamique en Irak, ce n''est pas l''islam véritable, lui disait son amie Léna, ils ont mis la région à feu et à sang, tuant d''autres musulmans, ce sont des fanatiques, ils veulent le retour à l''islam du prophète... Elle n''avait pas de réponse rationnelle, pas de mots, qui puisse aider Léna à comprendre. Comment lui faire comprendre que c''était l''occasion de tout effacer... et de recommencer à zéro.
Elle s''était convertie à l''Islam, ils s''étaient mariés et étaient partis.
Ils avaient mis plusieurs mois à descendre vers la Syrie. D''un commun accord ils avaient décidé de ne pas parler de ce qui les attendait à l''arrivée. Un message les avait rassurés quant à la possibilité pour Alice d''être une combattante active. Aucun détail.
Les jours passaient. Le temps s''était arrêté. Elle se livrait au rituel de la prière cinq fois par jour. Elle avait appris les formules rituelles en arabe et le simple fait de les répéter, en boucle, l''entraînait dans un univers de sensations qu''elle ne pouvait décrire, qui ne faisait pas appel à son monde sensible habituel. Il fallait remonter à son enfance pour retrouver de tels moments de quiétude... Elle ressentait. Elle n''aurait su dire exactement quoi, des choses plutôt insensées comme être un arbre, voler dans les airs, ou être morte. Peut-être, de tout ce qu''elle ressentait, la mort était l''état auquel elle pensait le plus souvent quand elle revenait de, ce qu''elle avait fini par appeler, un voyage.
Le poste-frontière n''était plus qu''à quelques centaines de mètres. .Le drapeau noir de l''EIIL flottait sur Tal Abyad...